Nuuksio

Parc national de Nuuksio, Mustalampi

Nuuksio

Je crois que je me suis perdu.

J’étais en route pour le refuge du parc national de Nuuksio, à quarante kilomètres à l’ouest d’Helsinki. Le bus m’avait déposé au début du chemin forestier et au bout d’une heure j’étais arrivé au parking où se garent les promeneurs qui viennent en voiture. J’ai regardé attentivement le panneau d’affichage du parc qui indique les circuits forestiers et j’ai vu que je devais suivre le bleu, long de huit kilomètres avant d’arriver au refuge.

En route !

J’ai pris un sac à dos pas trop lourd car le chemin monte et descend pas mal. C’est un coin de la Finlande du sud, assez vallonné et même si les sommets ne sont pas hauts, les pentes sont brutales et se succèdent.

J’étais parti un peu tard et en ce début d’automne, le soleil se couche très tôt. Malgré tout, j’avais calculé que j’en avais pour une heure trente à tout casser avant d’atteindre le refuge ou m’attendais Myriam, une amie française que je fréquentais depuis Vappu.

Vappu, c’est la fête du premier mai, la première fête populaire de l’année ou des millions de finlandais se retrouve dans les parcs pour faire la fête après l’isolement de l’hiver. On y pique-nique et partage avec les amis, nourritures et boissons pétillantes, alcoolisées, bien sûr, pour les plus grands.

Les Français expatriés en Finlande ont vite pris le pli de faire la fête comme les finlandais et c’est comme cela que j’ai rencontré Myriam et ses copines, post-doc en biologie dans le centre de recherche sur le génome humain d’Helsinki.

Des étudiantes sérieuse donc, a priori. Mais cet après-midi de Vappu, c’est grâce au drapeau français planté à coté de leur tapis de pique-nique dans le parc de Kaivopuisto que je me suis arrêté. Parce que question sérieux, c’était plutôt la bitture qui l’était ! J’ai bu un sacré nombre de verres de mousseux avec elles et c’est ainsi que notre amitié a commencé, typiquement à la finlandaise, c’est-à-dire bourré !

De longues soirées d’été en longue soirée d’été, au bord de la Baltique, sur les îles de l’archipel d’Helsinki ou d’Espoo, je me suis senti revivre. Myriam n’était pas insensible à ma présence dans le groupe mais je n’étais pas encore capable d’éprouver un vrai sentiment amoureux, ma rupture avec Chloé était encore trop récente et mon deuil n’était pas consommé.

J’étais donc son « ami privilégié » et c’est ainsi que je me voyais avec elle, en ce début d’automne. Cette invitation à passer ensemble le week-end au refuge de Nuuksio me laissait présager que les prochains événements allait certainement changer ma vie.

J’étais trop plongé dans mes pensées en imaginant le déroulement du week-end avec Myriam qu’après avoir atteint le bout du lac, je n’ai pas vu que le sentier bleu tournait brusquement en montant et j’ai continué tout droit.

Et c’est quand le chemin s’est arrêté soudainement que j’ai compris que j’étais perdu !

Heureusement j’avais mon téléphone et le GPS m’indiquait la direction à suivre pour atteindre le refuge sans faire demi-tour, je ne voulais pas arriver de nuit.

Après une heure de marche dans les broussailles, je n’étais plus très loin du refuge mais j’arrivais devant un talweg sombre qui était perpendiculaire à ma route. Il n’y avait pas d’autre choix que de descendre dans le ravin et la lumière du soleil commençait à être rasante si bien que je ne distinguais pas le fond.

La forêt était plus dense ce n’est qu’en bas que je le vis. D’abord j’ai cru que c’était un ourson à cause de ses poils, ce qui me saisit de peur et je m’immobilisai. Mais mes yeux s’accoutumant à la faible la lumière, je reconnus un peikko !

Un peikko, c’est un lutin, un troll en finnois, animal mythique de la forêt et qui est souvent maléfique. Celui-ci semblait être un juvénile et il me souriait. Je ne sais pas ce qui m’a pris mais je lui ai dit :
– Salut peikko ! Comment tu t’appelles ? Moi c’est Daniel !

D’abord, il ne fit aucun mouvement ni ne prononça aucun son. Puis, semblant réfléchir, il finit par prononcer une suite de son que j’interprétai comme « Mik-Ko ». Je ne suis pas doué avec le finnois car j’ai du mal à entendre les doubles voyelles et les doubles consonnes. Pour en être sûr, je répétai en le montrant du doigt « Mikko » et « Daniel » en me montrant moi-même. C’est alors qu’il répondit « Dan-Niel » en tendant le doigt vers moi.

Je m’enfonçais les ongles dans la paume des mains pour voir si je rêvais. Ouille ! Non ! C’est Impossible ! Les peikko ça n’existe pas. J’ai l’esprit scientifique, je suis un irréductible athée qui ne croit que ce qu’il voit et à condition, en plus, que cela soit reproductible !

Je suis bouleversé. Ou je suis fou, ou toutes ces histoires que l’on raconte depuis la nuit des temps pour aider les petits-enfants à se méfier des étrangers sont basés sur une réalité bien cachée aux yeux de la multitude.

Mikko m’a nommé en me désignant. Il est donc capable de raisonnement intelligent et ne semble pas agressif. Comme je suis plus grand que lui, je m’assois au pied d’un épicéa et je lui explique que je vais au refuge qui ne doit pas se trouver très loin de l’endroit où nous nous sommes.

Je lui dis que je dois y aller avant que la nuit tombe et que je ne peux pas rester avec lui, mais que je reviendrai le voir demain. Je lui demande si il veux m’accompagner et me montrer le chemin.

Au début, j’ai pensé qu’il n’avait rien compris à ce que je lui avait dit, parce qu’instinctivement je me suis exprimé en français et non en finnois. Mais il me fait un signe de sa main et il m’invite à le suivre en direction du sud-ouest qui est la bonne direction pour le *mökki. (* Chalet en finnois)

Je le suis et bientôt nous arrivons à l’orée de la clairière où se trouve le chalet. Il ne va pas plus loin, il semble inquiet et je m’accroupis pour lui dire au revoir. Il s’approche de moi et me serre dans ses bras comme un enfant qui dit au revoir à ses parents.

J’ai les larmes qui me viennent aux yeux et il s’en aperçoit. Il me donne alors une sorte de bracelet tressé avec de longs poils bruns et qui emprisonnent un petit cristal de roche. Il me fait un signe, qui semble être un signe d’adieu et en moins de dix secondes, il a disparu dans la forêt.

Je ne l’ai jamais revu.

Le lendemain nous l’avons cherché dans le parc Myriam et moi, mais en vain. De retour à Helsinki, j’ai laissé à Myriam le bracelet qu’il m’avait donné en espérant qui était tressé avec ses propres poils et que nous aurions ainsi une idée de son génome. À la fin de la semaine j’avais la réponse : ce n’était que des poils d’ourson !

Je n’ai jamais été certain que cela soit la réalité ou un rêve éveillé. Mais depuis ce jour, avec Myriam qui est la seule à me croire, j’espère le retrouver. Dès que j’ai un peu de temps libre, je retourne avec elle au parc naturel de Nuuksio dans l’espoir de revoir mon ami Mikko.