« La Compagnie des glaces » de Georges-Jean Arnaud n’est pas un roman, mais une série de romans de science-fiction du genre post-apocalyptique parus entre 1980 et 1992 dans la gigantesque collection « Anticipation » de Fleuve Noir. La plus longue saga littéraire écrite d’une seule traite en 12 ans par un même auteur, un pur produit de romans de gare de plus de 10000 pages en 64 volumes. Des préquels suivront ainsi qu’une « Nouvelle époque », créant un univers-fiction de 96 volumes ! Écrivain prolifique décédé en avril 2020 à 91 ans, il a publié 416 ouvrages, principalement de la S.F, du fantastique, de l’espionnage, des policiers et des romans érotiques.
J’aime les séries, les sagas. Je les préfère aux romans seuls car elles sont génératrices d’univers plus élaborés, plus complet. Le confinement est idéal pour venir à bout des 64 premiers volumes…
Un bref résumé pour commencer
La lune a explosée en 2050, réduite en strates de poussières qui enveloppent intégralement la Terre. La pénombre permanente déclenche une terrible ère glaciaire, la Terre devient une boule de glace. Les rares survivants se réunissent autour des gares et les trains vont leur permettre de se chauffer, de se déplacer et de relancer des embryons de société. Les compagnies ferroviaires se substituent aux anciennes nations. Avec les guerres et l’exploitation extrême des travailleurs, les compagnies sont devenues de véritables dictatures.
« Soleil » est un mot tabou. Il est interdit de se déplacer hormis en train et l’immense majorité de l’espèce humaine survivante vit littéralement sous une cloche qui protège chaque station du froid et des tempêtes glaciaires. Une sorte d’ONU réglemente la société ferroviaire et empêche quiconque de créer d’autres systèmes de transport et de quitter le rail. La caste des aiguilleurs gère toutes les infrastructures et détient le réel pouvoir, les dirigeants des compagnies ferroviaires ne sont finalement que des actionnaires majoritaire à ses ordres.
Commentaires
Par bien des aspects, nous retrouvons les thématiques de la guerre froide et de la seconde guerre mondiale, bien éloignées des actuelles du genre. Bon nombre de romans post-apocalyptiques écrit dans les années 1980-1990 vont bien au delà et nous sommes à mille lieues des dictatures propres à George Orwell ou Philip K. Dick.
Un univers-fiction parmi tant d’autres, donc. « La Compagnie des Glaces » n’est que de la littérature de gare, à la fois au sens littéral du terme, car on y parle de train, de stations et de rails mais également au sens littéraire, avec le plaisir de s’évader et de passer le temps agréablement sans se torturer les méninges. Littérature mineure certes, mais c’est elle qui vend le plus de livres !
Avec seulement 163 pages, le premier volume évite que je l’abandonne en cours de route. Un roman écrit en mode automatique, sans style. Les situations sont bêtement descriptives et l’auteur a bien du mal à savoir où il va diriger son héro d’un chapitre sur l’autre. Aucun des personnages n’a de réelle épaisseur et les échanges verbaux entre protagonistes sont robotiques !
Dans une de ses rares interview, Arnaud explique avoir créé cet univers pour un travail sur commande, un seul court roman étant prévu initialement. Il avait envisagé de l’écrire d’une traite en quelques semaines mais était victime du syndrome de la page blanche. Demandant un sujet d’écriture à son épouse, elle lui a suggéré d’utiliser ce qu’il détestait le plus, le froid et la neige.
On comprend pourquoi ce premier épisode est de loin le plus faible de la série. Mais malgré cela, j’ai lu les 31 suivants. Après une pose pour dévorer la Belgariade et la Mallorée, une saga fantastique de David Edding d’un niveau très supérieur, j’ai fini pourtant les 32 derniers d’Arnaud sans m’arrêter ! De la littérature de gare, une ambiance série B, parfois Z, sans éclat ni style. Mais j’ai dévoré cette saga comme un junky en manque ! Étrange, non ?
Car la « Compagnie des Glaces » a quelque chose d’unique. Avec une création aussi longue, l’auteur n’a pas pu laisser son univers aride et sans épaisseur. Il l’a constamment enrichi avec des nouvelles trouvailles, des retournements de situation et des traits de plus en plus originaux. C’est même parfois carrément loufoque mais on s’y laisse prendre complètement. La logique de ce monde cauchemardesque s’est définitivement installée dans notre esprit. Les personnages s’étoffent et se multiplient. Arnaud partage la narration entre plusieurs destins qui vont se séparer de longues périodes et réapparaître au moment opportun et d’autres complètement disparaitre.
C’est un univers attirant et mystérieux. Dès le début nous découvrons le peuple des Roux, des humanoïdes vivant nus, couverts d’une épaisse fourrure rousse et supportant des températures négatives extrêmes. Leur existence est un profond mystère. D’où viennent-ils, quelle est leur destinée ? Le héro principal va tout faire pour le résoudre, s’attirant la haine mortelles des compagnies et des aiguilleurs.
C’est une vaste aventure géopolitique mêlant action, voyages initiatiques, complots, trahisons, terrorisme, coups d’État avec parfois la rencontre de créatures étranges et souvent monstrueuses. Au fil des romans, on en sait plus sur la vie quotidienne, les habitudes et la misère de la plupart des habitants, faisant face à l’opulente richesse et au sadisme, parfois caricatural, des puissants. Bien sûr, il y a du sexe à tous les étages et sous toutes ses formes, bien que soft et non-érotique, Série Noire oblige. Triolisme, prostitution, sado-masochisme, homosexualité et tutti quanti, chaque fantasme possible du lecteur est servi !
C’est tout un monde qui prends forme et qui peu à peu nous menotte. Avec son rythme propre d’ailleurs, de longues pages techniques sur les trains, les rails et les machineries émaillent cet univers et lui confèrent une atmosphère de dictature technologique sans pitié. Un pied de nez aux lecteurs voyageant en train, habituels gloutons des « romans de gare » ?
Avec la faiblesse de l’écriture, impossible de ne pas ressentir quelques fois de la lassitude, de maugréer sur les passages à vide de l’écrivain et de se dire « bon, stop, j’arrête ! ». Mais on continue, bien sûr. Et le délire scénaristique revient, souvent drôle. Difficile pour un écrivain d’être inspiré en permanence sur deux décennies. On compatit alors et on y retourne, en manque.
Impossible surtout de ne pas s’attacher aux personnages. C’est comme une famille qui continue à vivre et que l’on retrouve tant que les pages à lire restent infinies. Et cette fin qui n’arrive pas devient à son tour une qualité tout à fait unique qui nous aspire à continuer.
Il ne faut pas lire « La Compagnie des glaces » pour son originalité, sa qualité d’écriture ou à la recherche d’une transposition analytique de notre société. Rien de tout cela. C’est juste et uniquement une « Aventure » et elle nous rend accro. Une saga génératrice d’endomorphine 🙂
À lire l’été au bord de la piscine, les pieds en éventail ou l’hiver sous les couvertures, glace oblige 😉