Soufi, mon amour – Elif Shafak

4ème de couverture

Soufi, mon amour – Elif Shafak

Ella Rubinstein a en apparence tout pour être heureuse : une jolie maison dans le Massachusetts, trois beaux enfants, un chien fidèle. Mais, à l’aube de ses quarante ans, elle se demande si elle n’est pas passée à côté d’elle-même. Les infidélités de son mari ne sont plus un mystère et les cours de cuisine du jeudi ne suffisent plus à exalter sa vie monotone.

Décidée à reprendre une activité professionnelle, elle est engagée comme lectrice par un agent littéraire. Sa première mission : rédiger une note sur un manuscrit signé Aziz Z. Zahara. Ce roman, qui retrace la rencontre entre le poète Rûmî et le plus célèbre derviche du monde musulman, Shams de Tabriz, va être une révélation pour Ella.

Au fil des pages, elle découvre le soufisme, le refus des conventions et la splendeur de l’amour. Cette histoire se révèle être le miroir de la sienne. Aziz – comme Shams l’a fait pour Rûmî sept siècles auparavant – serait-il venu la libérer ?

Konya – au premier plan le mausolée de Rûmî

Contexte historique et géographique

L’histoire se passe pour Rûmî et Shams de Tabriz à Konya en Turquie et à Damas à partir de 1242 et dans le Massachusetts à Northampton et Boston en 2008 pour Ella Rubinstein et Aziz Z. Zahara.

Djalāl ad-Dīn Muḥammad Balkhi ou Rûmî, né en Afghanistan en 1207 et mort à Konya en 1273 est un poète mystique persan qui a profondément influencé le soufisme. Il est considéré en Orient comme un grand maître spirituel et désigné comme « Mawlânâ », « notre maître » ou « mollah » en persan.

Shams-ed-Dīn Tabrīzī est un mystique iranien soufi né à Tabriz vers 1185 et mort en 1248. Il a été le maître spirituel de Jalâlu-d-Dîn Rûmî, qu’il initia à la mystique musulmane. Il a écrit un gros volume de dialogues, rédigés en persan, entre lui et Rumî pendant qu’ils ont vécu ensemble à Konya, entre 1244 et 1248, date de la disparition de Shams. Durant ces quatre années, Shams s’est également rendu à Damas. Certains pensent qu’il serait mort assassiné par des disciples de Rûmî.

Rumi l’a immortalisé dans son recueil de poèmes intitulé Diwan-e Shams-e Tabrîzî : « Recueil des poèmes de Shams de Tabriz ».

Shams de Tabriz et Rûmî – le Sema, la danse des derviches tourneurs

Thème du roman

Le thème principal du roman est le soufisme qui est le courant ésotérique et mystique de l’islam. Il s’agit d’une voie d’élévation spirituelle par le biais d’une initiation particulière qui par extension désigne les confréries rassemblant les fidèles autour d’un saint homme.

Du point de vue doctrinal, le soufisme professe que toute réalité comporte un aspect extérieur apparent et un aspect intérieur caché. Il se caractérise par la recherche d’un état spirituel qui permet d’accéder à cette connaissance cachée.

C’est le rejet de la conscience habituelle, celle des cinq sens, par la recherche d’un état d’ « ivresse » spirituelle, c’est-à-dire l’extinction du moi pour parvenir à la conscience de la présence de Dieu. Les maîtres soufis distinguent trois phases dans l’élévation de l’âme :

• D’abord l’âme gouvernée par ses passions. Le postulant à l’initiation est appelé novice, le disciple désirant Dieu.

• Ensuite l’âme qui se blâme elle-même, c’est-à-dire qui cherche à se corriger intérieurement. L’initié qui parvient à ce stade est appelé voyageur, allusion symbolique au voyage intérieur.

• Le troisième et dernier niveau est celui de l’âme apaisée.

L’amour tient une place centrale dans l’enseignement soufi. Néanmoins, c’est dans le cadre de la poésie que les maîtres soufis célébrèrent le plus profusément l’amour. Toute leur poésie s’y rapporte, de près ou de loin. Si les maîtres soufis donnent une telle importance à l’amour, c’est qu’ils considèrent la station spirituelle qui y est associée comme une des plus insignes qui soient : aimer Dieu est l’ultime but.

Djalāl ad-Dīn Muḥammad Balkhi ou Rûmî

Les soufis ont des pratiques ascétiques visant à purifier l’ego comme la méditation, mais l’élément principal à tous les soufis c’est « l’invocation » qui consiste à se remémorer Dieu en répétant son nom ou des formules pieuses de manière rythmée. Elles varient selon les confréries et sont parfois accompagnées de musique et de danse comme le « Sema » la danse des derviches tourneurs de Turquie.

Un malâmati, est un soufi qui, par souci de sincérité, va faire exprès d’avoir un comportement presque contraire à ce qu’il est vraiment même si ça doit lui causer des ennuis et le discréditer publiquement. Cette attitude singulière, « La voie du blâme » consiste « à ne montrer rien de bien et ne cacher rien de mal ». Ce courant fut important dans l’ensemble de l’Empire ottoman.

Le soufisme, qui représente une tendance ésotérique et mystique de l’islam, se trouve en totale opposition avec les courants littéralistes, attachés à la lettre du Coran et à celle de la sunna, les « sunnites ». C’est que ces derniers voient dans les enseignements soufis des dérives idolâtriques étrangères à l’islam, voire une contagion par le christianisme avec les saints et les moines.

Les soufis ont subits beaucoup de persécutions religieuses, notamment la destruction de leurs zaouïas – leurs « monastères », de leurs mosquées, de leurs ordres, et la discrimination de leurs membres dans un certain nombre de pays musulmans.

En 1925, la République laïque turque interdit tous les ordres soufis et ferme leurs institutions après qu’ils se soient opposés à ce nouvel ordre laïc. En 1979, c’est la République islamique iranienne qui les persécute. Dans la plupart des autres pays musulmans, les attaques contre les soufis et surtout, leurs zaouïas, viennent pour l’essentiel des salafistes ou wahhabites qui considèrent que leurs pratiques telles que la seule célébration des saints est blâmable et relèvent du domaine du polythéisme.

En novembre 2017, un attentat à la mosquée soufi de Bir al-Abed non loin de Port-Saïd en Égypte et attribué à l’État islamique a fait 311 morts et une centaine de blessés.

Prologue du roman

Shams de Tabriz

Shams de Tabriz

Tu tiens une pierre entre tes doigts et tu la lances dans un ruisseau. Tu risques d’avoir du mal à constater l’effet produit. Il y aura une petite ride où la pierre a brisé la surface, et un clapotis, mais étouffé par les flots bondissants du cours d’eau. C’est tout.

Lance une pierre dans un lac. L’effet sera non seulement visible mais durable. La pierre viendra troubler la nappe immobile. Un cercle se formera où la pierre a frappé et, au même instant, il se démultipliera, en formant d’autres, concentriques. Très vite, les ondulations causées par ce seul « plop » s’étendront au point de se faire sentir sur toute la surface de l’eau, tel un miroir une seconde plus tôt. Les cercles atteindront les rives et, alors seulement, ils s’arrêteront de grandir et s’effaceront.

Si une pierre tombe dans une rivière, les flots la traiteront comme une commotion parmi d’autres dans un cours déjà tumultueux. Rien d’inhabituel. Rien que la rivière ne puisse maîtriser.

Si une pierre tombe dans un lac, en revanche, ce lac ne sera plus jamais le même.

Pendant quarante ans, la vie d’Ella Rubinstein avait été un plan d’eau tranquille – un enchaînement prévisible d’habitudes, de besoins et de préférences.

Bien que monotone et ordinaire, elle ne lui avait pas paru lassante. Ces vingt dernières années, tous ses souhaits, toutes les personnes avec lesquelles elle s’était liée d’amitié, toutes les décisions qu’elle avait prises étaient passés par le filtre de son mariage.

L’autrice

Elif Shafak

Elif Shafak est une romancière turque qui vit à Londres actuellement et écrit en anglais. Elle est né à Strasbourg et est la fille d’une diplomate turque qui l’a élevé après son divorce, Elif Shafak a passé son adolescence à Madrid puis à Amman, en Jordanie, avant de retourner en Turquie.

Diplômée en relations internationales de la Middle East Technical University d’Ankara, elle est aussi titulaire d’un master en genre et études féminines dont le mémoire portait sur la circulaire Compréhension des derviches hétérodoxes de l’islam ! (Babelio)

Huit de ses romans sont traduits en Français et salués par la critique dont notamment « L’architecte du Sultan » et « La Bâtarde d’Istanbul ». Elle a été traduite dans cinquante langues et a reçu en 2012 la décoration française de Chevalier des Arts et des Lettres. Elif Shafak milite pour les droits des femmes et collabore avec des quotidiens internationaux.