Ce livre était au programme de janvier de l’atelier lecture des francophones d’Helsinki dont je suis toujours membre, grâce à Zoom ! Nous étions onze participants, huit sur Helsinki et sa région et trois anciens déjà repartis loin des terres froides, l’Autriche pour Ioulia, l’Algérie pour Jasmina et l’Occitanie pour moi.
L’atelier était prévu pour le 15 janvier si bien que, dans la nuit du 3 janvier au soir, j’ai commencé à faire des recherches sur internet concernant Kaouther Adimi et son roman « Nos richesses ». C’est une de mes pratiques habituelles, j’aime connaître le contexte de création d’une œuvre littéraire.
Kaouther Adimi est une écrivaine née à Alger qu’elle quitte dès l’âge de quatre ans pour Grenoble. Elle y découvre le plaisir de la lecture avec son père, qui l’emmène chaque semaine à la bibliothèque municipale. Quatre ans plus tard elle est de retour en Algérie qui est, à cette époque, sous l’emprise du terrorisme. Ne pouvant plus accéder aux bibliothèques, elle commence à écrire ses propres histoires…
Quelques années plus tard, étudiante en lettres à la faculté d’Alger, elle participe à un concours de jeunes écrivains dont elle a vu l’affiche à l’institut français d’Alger. Sa nouvelle sera publiée et elle sera invitée en France où elle rencontrera la maison d’édition algérienne Barzakh. Celle-ci publiera son premier roman, « L’envers des autres » en 2009. Kaouther Adimi quitte de nouveau Alger la même année pour s’installer à Paris où elle deviendra directrice des ressources humaines dans une entreprise de luxe.
Elle publie son troisième roman « Nos richesses » aux éditions du Seuil en 2017 et obtient le prix Renaudot des lycéens. En continuant mes recherches, je découvre que l’histoire de ce roman tourne autour d’une ancienne librairie d’Alger devenue bibliothèque de prêt et nommée « Les Vraies Richesses » – titre d’un roman de Jean Giono. Elle a été créée dans les années trente par Edmond Charlot, libraire, premier éditeur et ami d’Albert Camus !
À ce moment, je regarde l’heure. Deux heures dix du matin et nous sommes le 4 janvier. Étrange coïncidence. Instantanément j’ai le flash du repas du soir du 4 janvier 1960. J’ai neuf ans et demi et mes parents écoutent religieusement, comme d’habitude, les informations d’Europe 1 et il faut se taire.
De la soupe dans mon assiette, la cuillère à la main, il doit être 19h. Dans le silence de rigueur, l’info tombe : Albert Camus vient de mourir dans un accident de voiture ! Comme je ne sais pas qui est cette personne, je continue de manger mais pas mon père qui s’arrête, extrêmement ému. J’ai appris plus tard qu’il aimait particulièrement Albert Camus en découvrant ses œuvres complètes dans la bibliothèque familiale. Il est devenu mon écrivain préféré à mon adolescence et existentialiste, je le suis depuis 😉
En poursuivant sur internet, j’ai découvert qu’Edmond Charlot, décédé en 2005 et dont la vie d’éditeur a été très remplie malgré ses déboires parisiens, s’était installé en 1980 à Pézenas, animant la librairie « Le Haut Quartier ». En conclusion ironique à ce vieux souvenir réapparu, je me suis rappelé que juste avant le premier confinement, lors de ma dernière sortie photo à Pézenas, totalement ignorant de l’existence de Charlot, je suis passé rue des Orfèvres devant la devanture de cette sympathique petite librairie sans m’arrêter. Il faisait bien trop gris et sombre ce jour là pour prendre une photo !
« Nos richesses » fait 133 pages sur ma liseuse, 121 pages de texte une fois ôtées les pages annexes. Quand un roman obtient un prix des lycéens, dans la majorité des cas, il est très court 😉 Si vous disposez de peu de temps pour la lecture, c’est le livre parfait pour vous. Comme le style est simple et le roman très agréable à lire, je l’ai avalé trop vite pour être complètement rassasié 😉
Le héro de l’histoire c’est finalement cette minuscule librairie d’Alger devenu bibliothèque de quartier, « Les Vraies Richesses », et dont la mort est programmée. Elle est située 2 bis rue Hamani, ex-Charras, dans le centre, non loin de l’université et de l’institut français d’Alger, une proximité géographique pour l’étudiante en lettres Kaouther Adimi qui n’est certainement pas anodine 😉
Les personnages qui vivent dans ce roman autour de la librairie sont à la fois ceux du passé, Edmond Charlot, ses amis intellectuels écrivains et artistes qui apparaissent tout au long d’un journal intime imaginaire, et ceux du présent, les habitants du quartiers ainsi que le vieil Abdallah, ex-gardien du temple, et Ryad un jeune étudiant algérien venu de France, chargé de vider et repeindre la librairie pour en faire un magasin de beignets..
Nos richesses, ce sont finalement celles de la culture bouillonnante d’Alger avant la révolution algérienne, à la fois francophone, kabyle et arabe et qui sont en train de disparaître par le fait d’une jeune génération ignorante et instrumentalisée. Ce sont aussi celles de la culture en général qui subit la pression permanente des idéologies et des intérêts partisans. Mais la culture est aussi un privilège des riches et des dominants, l’autrice le fait transparaitre dans sa peinture de la colonisation algérienne.
En Algérie Albert Camus, écrivain pacifiste et prix Nobel de littérature, est toujours connu et aimé tandis qu’Edmond Charlot, son éditeur, est un total inconnu, comme en France. Pourtant son ami Camus, lisait pour lui les manuscrits envoyé à l’éditeur et rédigeait les notes de lecture. Lors d’un des deux plasticages commis par l’OAS sur une des autres librairies de Charlot, toutes les notes de lecture de Camus et toutes les archives et correspondance de Charlot avec les écrivains et les peintres ont disparu.
Albert Camus s’opposait avec une égale fermeté aux intellectuels de droite qui se refusaient à condamner la torture comme aux intellectuels de gauche qui s’interdisait de condamner le terrorisme. C’est le seul grand intellectuel qui ait refusé tout compromis avec ses principes moraux, toute dérive partisane et il reste pour moi un modèle. L’actualité mondiale présente souvent beaucoup trop de similitudes aux « éventement d’Alger », euphémisme de guerres qui ne disent pas leurs noms.
Le roman de Kaouther Adimi a le mérite de nous faire découvrir l’existence de l’éditeur Edmond Charlot qui avant l’indépendance de l’Algérie a eu une importance considérable pour les écrivains, peintres et intellectuels algériens qu’ils soient d’origine européenne, berbère ou arabe. Albert Camus, son ami depuis l’université jusqu’à sa mort comme j’ai pu le découvrir sur internet, est une des personnes clé de la vie de Charlot mais il apparait très peu dans ce livre.
C’est un choix d’auteur. Est-ce pour ne pas écrire un énième livre sur Camus ou à cause de sa prise de position pacifiste contre l’indépendance qu’il jugeaient néfaste pour tous les algériens arabes comme européens ? Dommage car j’ai la sensation que « Nos richesses » auraient pu être plus complet en ajoutant un zeste supplémentaire de « Camus ». C’est ce qui me fait rester sur ma soif.
Ce sera ma seule critique pour ce roman facile à lire et très bien documenté. Grâce à sa lecture et à toutes les recherches que j’ai effectué autour de « Nos Richesses », j’ai très envie de relire l’œuvre d’Albert Camus, et c’est un autre mérite de ce livre !
La librairie « Les Vraies Richesses » existe toujours à Alger au 2 bis rue Hamani, comme bibliothèque de prêt et la devise d’origine écrite par Charlot sur la vitrine y est toujours présente :
« Un homme qui lit en vaut deux »