La cabane

Atelier du Hérisson du 29 septembre 2021 – Les retrouvailles
Thème ? probablement mots imposés…

Cela faisait un jour et une nuit que j’avais quitté la cabane de la forêt de Medlazou quand j’ai aperçu devant moi à une demie-lieue l’entrée du village. Je l’avais laissée seule avec à peine de quoi manger et je n’étais pas sûr de la retrouver à mon retour. J’étais parti en raquettes, la motoneige était soudainement tombée en panne et je n’avais pas réussi à la faire redémarrer malgré plus d’une heure d’effort.

Nous manquions de tout, de céréales, de légumes, de viande et je n’avais presque plus de pétrole. Je savais que je ne pourrais pas porter autant de provisions que prévu sans la motoneige mais je demanderais à un vieux du village, quand je serais rentré dans Porroka, de me prêter ou de me vendre une luge.

Tous les jeunes étaient partis depuis des lustres de ce village oublié pour la modernité de la ville et bon nombre de leurs luges pourrissaient dans les vieilles granges abandonnées par leurs parents. Leurs toits étaient presque tous effondrés sous le poids répété des fortes chutes de neige habituelles l’hiver, dans notre belle région reculée du conté de Tubkrima.

Le vieux Richoinsou m’imposa un marchandage digne du souk de Trivara si prisé des colporteurs, mais au bout d’une heure je réussis à m’en sortir sans trop de dommages. Avec ses cent-vingt-trois ans révolus, il était devenu maintenant beaucoup moins pugnace qu’il ne l’avait été avant le grand chamboulement.

À l’épicerie j’ai réussi à acheter le minimum vital pour les cinq  prochaines semaines. Et surtout j’ai trouvé en fouinant par hasard – un miracle – dans l’atelier abandonné de l’unique garagiste-quincailler du village, la pièce de rechange nécessaire à la réparation du carburateur de la motoneige. J’ai chargé aussitôt la luge et je me suis dirigé vers la passe au nord du village. Il était déjà tard.

Le vent commençait à souffler fortement en rafale et la neige se mit à tomber dru, en bourrasques. Je commençais à avoir des problèmes de concentration et de vision, surtout à cause de mon manque de sommeil. En marchant et en tirant la luge je l’ai d’abord aperçue à mes côtés. De nombreuses fois sans rien faire puis quand la fatigue me prenait et que j’étais prêt à m’arrêter, elle me tirait par le bras pour m’obliger à continuer et aller de l’avant.

C’est grâce à elle si je ne suis pas tombé dans la neige pour ne plus jamais me relever. La deuxième nuit, je ne m’en souviens qu’à peine. J’ai marché comme un zombie, presqu’en permanence inconscient, dormant les yeux ouverts, avec elle qui me tenait continuellement la main et me dirigeait comme avec un aveugle sans canne.

Quand je suis arrivé au petit matin devant la cabane, je ne me suis pas vraiment rendu compte que j’avais réussi mon pari insensé. J’ai ouvert la porte mécaniquement dans un dernier effort. Mon cœur battait la chamade, sera-t-elle encore là ? J’ai perdu presqu’immédiatement connaissance de fatigue quand j’ai refermé le battant et me suis effondré sur le tapis de l’entrée de la cabane.

Je me suis réveillé plusieurs heures plus tard. Elle me léchait amoureusement le visage. La petite trolle que j’avais sauvé et soigné des blessures provoquées par l’antique piège à Bristofer, oublié par des trappeurs partis vers d’autres contrées, ne s’était pas sauvée ! Amour inconditionnel de reconnaissance, elle avait attendu le retour de son sauveur. Pur bonheur !