Ode à la paresse

Atelier du Hérisson du 10 novembre 2021
Thème oublié, je suppose sur la paresse…

J’ai toujours été paresseux. Jusqu’au plus loin que je me souvienne, j’ai toujours essayé d’en faire le moins possible. Cela a commencé à l’école, je préférais jouer plutôt que d’apprendre mes leçons et je ne révisais qu’au dernier moment. Au lycée en terminale, je ne supportais pas de perdre mon temps précieux à faire les devoirs de maths donnés par la prof le vendredi soir et à rendre à huit heures le lundi matin. Bosser pendant le week-end, jamais. Je ne les faisais que lors du cours de dessin industriel, le lundi matin après l’heure limite.

J’étais très bon en dessin en général et en dessin industriel en particulier si bien que j’avais beaucoup d’avance sur mes copains de classe dans la réalisation des calques. Le lundi nous avions un travail dirigé de dessin qui durait toute la matinée et j’avais le temps de faire la plus grande partie du devoir de maths au fond de la classe en quatre heures, planqué derrière ma table à dessin relevée. Mes camarades de terminale passaient parfois leur samedi entier pour le terminer entièrement.

Au début, la prof de maths me mettait systématiquement un zéro car je n’avais pas rendu le devoir à l’heure indiquée comme les autres. Mais au bout de trois lundi et trois zéro, elle a fini par corriger mes devoirs et j’arrivai à décrocher en général une note au-dessus de la moyenne. En quatre heures, il ne m’était pas possible de faire tout ce qu’elle avait demandé, il fallait prioriser.

Mais j’étais entraîné à travailler vite et intelligemment si bien qu’à chaque partiel trimestriel qui comptait pour quatre-vingt pourcent de la moyenne, c’est moi qui avais toujours la meilleure note de la classe. Cela explique pourquoi cette prof intransigeante avait fini par céder à mon retard systématique dans la remise du devoir du lundi. La revanche du paresseux ! Être paresseux ne veut pas forcément dire ne pas être malin 😉

J’ai passé mon bac avec mention mais je n’ai pas souhaité faire une école d’ingénieur comme le voulaient mes parents. Mes trois années de lycée en classe de maths et technique, avec ses trente six heures de cours par semaine m’avaient dégoûté totalement du monde du travail et de mes futures quarante heures minimum de travail hebdomadaire.

Après plusieurs années à traîner à la fac, allant de fêtes en fêtes, de manifs en occupation d’amphis mais aussi en partiels ratés, paresse totale oblige, j’ai fini par faire plein de petits boulots merdiques qui m’ont conduit directement vers la recherche d’un emploi protégé. Je suis rentré par la petite porte de l’administration des PTT à Marseille.

Petit Travail Tranquille que certains disaient, c’était fait pour moi. Finalement, le boulot d’agent des lignes, il n’était pas si tranquille que ça, plutôt proche du bagne. J’ai tout de suite vu que pour avoir la paix, il fallait être chef. Un concours plus tard je suis devenu conducteur de travaux et comme pour tout fonctionnaire qui se respecte je me suis retrouvé à Paris.

Et là miracle, enfin je pouvais à nouveau avoir recours à ma paresse. Pendant la majeure partie des dix ans que j’ai passé dans la capitale, j’ai travaillé à mi-temps. Je bossais vite et bien le matin, et l’après-midi, comme j’avais fait la totalité de ce que ma hiérarchie me demandait, je faisais ce dont j’avais envie, je pouvais paresser à ma guise. Après ce long séjour parisien, j’ai finalement réussi à revenir dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

De retour dans le sud de la France, la crise de la quarantaine m’imposant de me poser la question fondamentale : qu’ai-je fait de ma vie, j’ai décidé de passer un concours de cadre, de devenir ingénieur maison. Après un an et demi de formation sur Lyon et sa région, pendant laquelle j’ai bossé plus que pendant toute ma vie étudiante, j’ai fini, après un court retour à Paris, par retourner sur Nice et être affecté à la direction régionale des télécommunications.

J’ai été affecté au contrôle de gestion et la personne que je devais remplacer avant son départ à la retraite, bossait cent pourcent de son temps à remplir des tableaux Excel de chiffres, à partir de listing papier fournis par plusieurs applications. Cadre certes, mais c’était bien un boulot de merde !

Cela m’a pris quinze jours pour comprendre comment fonctionnaient ces applications et comment récupérer leurs données sous forme de fichiers texte informatique. Quinze jours supplémentaires m’ont suffit pour écrire un programme capable d’extraire les données de ces fichiers texte et avec quelques macros Excel, à remplir automatiquement les tableaux demandés par la direction régionale.

Je n’ai jamais expliqué au collège que j’allais remplacer ce que j’avais réalisé en un mois, pour ne pas lui casser le moral, bien sûr. Je ne l’ai pas non plus expliqué à ma hiérarchie quand je l’ai remplacé, pour ne pas lui faire du tort, bien sûr. Faire en trois jours un travail qui en demandait officiellement dix fois plus m’a permis d’atteindre le summum de la paresse pendant toutes les années que j’ai passées à la direction régionale des télécommunications de Nice.

Quand je l’ai quitté pour devenir responsable de l’ingénierie réseau du Var et des Alpes maritimes, je n’ai bien sûr pas expliqué ma méthode de travail à mon remplaçant pour ne pas favoriser sa paresse, bien sûr. La paresse, c’est bien connu, est un bien vilain défaut !

Plus tard, je n’ai pas réussi à faire mieux que pendant ces cinq ans passés à Nice. Ce qui m’a le plus fait rigoler, c’est l’incompétence crasse de ma hiérarchie qui n’a jamais vu ni su la supercherie. Depuis, il y a prescription, c’est pour cela que j’avoue mon forfait 😉

Maintenant que je suis à la retraite, j’excelle encore dans la paresse mais le challenge n’est plus à la hauteur de mes capacités. Je suis obligé de me donner des objectifs pour pouvoir procrastiner ensuite, ce qui est un comble !

Je pense que la paresse est le fondement de la civilisation humaine, c’est le moteur du progrès. Celui qui a inventé la roue et la brouette était forcément un jardinier paresseux, il n’y a pas photo.

La paresse, le carburant de l’intelligence humaine !