Pour avoir jeté à la mer le promoteur immobilier Antoine Lazenec, Martial Kermeur vient d’être arrêté par la police. Au juge devant lequel il a été déféré, il retrace le cours des événements qui l’ont mené là : son divorce, la garde de son fils Erwan, son licenciement et puis surtout, les miroitants projets de Lazenec.
Il faut dire que la tentation est grande d’investir toute sa prime de licenciement dans un bel appartement avec vue sur la mer.
Encore faut-il qu’il soit construit.
Tanguy Viel est né en 1973 à Brest et a passé son enfance en Bretagne. Il a été pensionnaire de la Villa Médicis en 2003-2004. Il a reçu le prix Fénéon et le prix littéraire de la vocation pour son roman « L’Absolue Perfection du crime » et en 2017 le Grand prix RTL-Lire et le Prix François-Mauriac de la région Aquitaine pour sa douzième publication, « Article 353 du Code pénal ».
D’après Wikipedia, Tanguy Viel est réputé pour sa mise en place d’intrigues complexes, une réflexion sur quelques thèmes récurrents : les liens familiaux, les duperies, les inégalités de classes et les difficultés à prendre l’ascenseur social. Plusieurs de ses romans dont « Article 353 du Code pénal » sont considérés comme des romans policiers par la présence de criminels et de procès mais l’auteur ne les caractérise pas comme tel.
Le style est précis et économe, ses phrases longues et saccadées ce qui donnent un rythme dynamique. Tanguy Viel commente son style : « Souvent le style c’est d’abord de fabriquer des phrases qui viennent naturellement. Le style c’est quelque chose qui vient un peu par bloc. Ce qui est très long et demande beaucoup de travail c’est de composer, d’enchaîner les paragraphes, pour qu’ils tombent en cascade les uns sur les autres, pour qu’il y ait une forme de fluidité ou d’évidence du récit, pour qu’on ait le sentiment que chaque chose est absolument nécessaire et à sa place. Et cela prend beaucoup de temps ».
« Article 353 du Code pénal » est un monologue intérieur, celui du personnage principal, Martial Kermeur, issu d’une classe socio-culturelle peu cultivée, au discours répétitif et disloqué face au juge qui instruit l’affaire. Pour l’auteur, le but n’est « pas tant de savoir si l’acte est juste ou non, mais si le narrateur a réussi à raconter sa vie, à la reconstruire sous forme de récit ».
J’ai tout de suite été piégé par le style de l’écrivain. Tout de suite j’ai été embarqué par ce monologue intérieur aux phrases décousue et longues. J’ai pris très vite la place de Kermeur, ce personnage à l’origine sociale modeste, introverti et lâche. L’histoire se passe dans la rade de Brest, et je connais assez bien cette région de Bretagne pour avoir souvent séjourné toutes saisons dans la baie de Douarnenez qui lui ressemble beaucoup.
J’avoue avoir complètement reconnu l’atmosphère décrite par Kermeur, l’ambiance les jours gris et pluvieux, la beauté du paysage et la mer omniprésente. Le style de l’écrivain m’a beaucoup plu et m’a littéralement plongé à la place de l’assassin.
Je suis d’accord avec Tanguy Viel pour dire que son roman n’est pas un roman policier en tant que tel puisque l’on sait dès le départ qu’un crime a été commis et qui est l’assassin. C’est plutôt un compte social et psychologique.
Contrairement à l’habitude, je n’ai pas été voir après les vingt premières pages comment se terminait le roman, puisque je savais qui était le coupable. Par contre vers la fin du roman je me suis rendu compte que la morale qui transparaissait petit à petit dans cette fable était assez exécrable et je suis allé voir la fin pour en avoir la certitude.
Et avec la confirmation de la justification du meurtre par le juge, le qualifiant de simple accident, j’ai été très désagréablement déçu ! D’abord parce que c’est complètement impossible en droit français, l’article 353 du code de procédure pénale – qui existe réellement – ne s’applique que pour les jurés d’assise et non pas à l’instruction, ensuite parce que ce roman fait finalement l’éloge de la vengeance et justifie la peine de mort. Un lâche introverti qui assassine froidement et avec préméditation l’escroc qui l’a roulé, c’est de la vengeance, pas de la justice.
Mais finalement ce qui m’a le plus gêné, c’est encore une fois la mauvaise qualité des recherches préalables nécessaire à tout roman pour le rendre crédible. Aussi bien les descriptions des paysages de la pointe de la Bretagne et les personnages sont très réalistes, aussi bien la méconnaissance de la loi et des procédures pénales est affligeante.
L’histoire se passe dans les années 90 et à cette époque la loi littoral existe déjà (1986), rendant quasiment impossible les grosses opérations immobilières en bord de mer. Et d’une.
Deuxièmement, l’information judiciaire en France est déclenchée par le procureur de la République qui la confie à un juge d’instruction. Sous le contrôle de la Chambre de l’instruction – ex chambre d’accusation en 1990 -, celui-ci procède à charge et à décharge aux recherches permettant la manifestation de la vérité avec mise en examen ou non de la personne soupçonnée.
In fine, une fois l’instruction terminée, c’est le procureur de la république qui décide de la suite à donner à l’affaire. Ici il y a mort d’homme et a minima délit de fuite. Il peut dessaisir le juge d’instruction s’il estime que celui-ci a mal fait son travail. Et en aucun cas, un juge d’instruction.. ne juge !
Le fait qu’il y ait mort d’homme et délit de fuite suffit pour que le procureur de la république poursuive, il en a même l’obligation. C’est l’article 434-10 du code pénal, c’est six ans et 150000€ d’amende. C’est toujours le procureur qui décide pour un classement sans suite, et pour un non-lieu, c’est avec le procès !
C’est ce côté mal ficelé qui m’énerve toujours dans tous ces romans qui sont finalement construits comme des « fake-news », un peu de vrai, beaucoup de faux. Une fin avec un procès et une condamnation aurait été beaucoup plus fort que cette sorte de happy-end judiciaire en forme de justification de meurtre, comme une sorte de « Grand Soir » bas de gamme pour le pauvre prolo escroqué. D’abord c’est bien fait pour lui ! Ce pauvre vieux prolo de gauche a tort de virer sa cuti sur le tard et de se mettre à croire soudainement aux joies du capitalisme : il n’a ni les compétences, ni la méfiance, ni la rouerie 🙂
L’article 353 du code de procédure pénale qui est cité textuellement par le juge d’instruction dans ce roman, pour justifier qu’il ne poursuit pas l’assassin, ne s’applique qu’en cour d’assises. Le code indique qu’après lecture au juré, le texte sera affichée en gros caractères dans la chambre des délibérations :
« Sous réserve de l’exigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d’assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : » Avez-vous une intime conviction ? ».
De nos jours, avoir « l’intime conviction » demande d’avantage de preuve qu’avant pour convaincre juge et jurés. Au grand regret de la maréchaussée, certains procès récents avec acquittement de prévenus, faute de preuves tangibles, montrent la voie. Dans un jugement d’assise, la majorité des deux-tiers des jurés est requise alors que c’est l’unanimité aux USA. Les droits de l’homme ont encore des progrès à faire en France.