Atelier du Hérisson du 26 janvier 2022
Thème ?
Nous habitions à cette époque-là tout près de Toronto dans la région des grands lacs américains. Mes deux derniers romans avaient été des succès commerciaux et j’avais pu nous acheter un joli et grand chalet niché au bord du lac Ontario et adossé à une forêt d’épicéa privée très dense. Il était facile de s’y perdre et j’avais dit aux enfants de ne s’y promener qu’équipés d’un GPS, de matériel de survie de base, et bien sûr je demandais toujours à Jack, mon fils ainé, de ne pas oublier de prendre son téléphone portable.
Il y a eu un orage terrible en début de nuit dernière et sous les coups de tonnerre, j’ai même eu l’impression que le sol avait tremblé plusieurs fois. La pluie a cessé rapidement dans la nuit si bien qu’une fois la brume matinale dissipée, l’air est devenu limpide et cela m’encourage fortement à faire ma balade dominicale habituelle dans la forêt.
Myriam me dit qu’elle a mal dormi à cause de l’orage et me demande de faire le repas à sa place aujourd’hui, elle veut se reposer encore un peu ce matin, dit-elle. C’est normalement son tour ce weekend, et je me demande si ce n’est pas un prétexte habile pour buller, trop forte ! Mais j’aime bien faire la cuisine et c’est tellement facile avec le nouveau barbecue à gaz que, plutôt que de partir en balade ce matin avec les enfants comme d’habitude, je vais rester au chalet pour préparer le repas de midi.
Il est déjà une heure de l’après-midi, les travers de porc sont archi-cuits, les frites froides et les enfants ne sont toujours pas de retour de leur périple. Myriam et moi commençons à nous inquiéter. Jack ne répond pas au téléphone et je décide de partir à sa recherche et de sa sœur Lucy en direction du dernier point GPS transmis par le portable de Jack. J’ai installé une appli de suivi sur son téléphone pour leurs balades à risques.
Mais à l’instant où je m’apprête à mettre mes chaussures de rando sur la terrasse du chalet, j’entend un craquement très fort venant des épicéas et je vois les enfants sortir de la forêt en courant, suivis par un énorme animal roux !
Il m’a fallu plusieurs secondes pour comprendre que cet animal ressemble étrangement à un petit éléphant, mais que ce n’est pas un éléphant ! Il fait pas loin de trois mètres de haut, a deux énormes défenses et un poil roux assez long et plutôt grossier. Il ressemble comme deux gouttes d’eau au mastodonte de l’est américain que j’ai vu représenté dans un article de la revue Scientific American l’année dernière et dont l’espèce a disparu au début de l’Holocène, notre actuelle période post-glaciaire. Le mastodonte américain est plus petit que le mammouth de la toundra sibérienne mais il reste néanmoins très impressionnant. Mais comment est-ce possible ! Cette espèce a disparu de la région depuis plus de 9000 ans !
Les enfants sont arrivés près de nous sur la terrasse et le mastodonte s’est arrêté tranquillement de les poursuivre une fois dans la prairie. Il s’est mis à manger tranquillement les pommes de pin des épicéas en lisière de forêt qu’il attrape délicatement avec sa trompe. Jack et Lucy sont tellement excités et parlent en même temps tant et si bien que Myriam et moi sommes incapables de comprendre ce qu’ils disent.
Nous finissont par apprendre que le mastodonte est sorti d’une grotte d’un noir profond et qu’au loin, tout au fond, comme au bout d’un tunnel, ils ont aperçu un paysage lumineux et luxuriant. Les enfants qui sont déjà allés de nombreuses fois à cet endroit de la forêt, n’avaient jamais vu auparavant de grotte dans cette parois rocheuse ! Un effet du tremblement de terre ressenti pendant l’orage ?
Jack et Lucy, par prudence en voyant l’animal qu’ils croyaient être un éléphant échappé d’un zoo, ont fait demi-tour et sont partis en marchant, d’abord lentement, puis progressivement un peu plus vite. Dans sa précipitation ou sa frayeur, le téléphone le jack est tombé de sa poche mal refermée et s’est cassé – à moins que le mastodonte qui les suivait n’ait marché dessus ? Comme l’énorme animal semblait s’intéresser d’un peu trop près à eux, ils se sont mis à courir et le mastodonte les a suivi d’un pas rapide mais finalement tranquille.
Hugo, c’est comme cela que nous l’avons appelé, ne semble ni craintif ni agressif, mais plutôt débonnaire et mange toujours tranquillement ses pommes d’épinette et les jeunes pousses vert clair des arbres.
Je n’ai aucune explication rationnelle à la présence dans notre jardin de cet animal préhistorique fabuleux mais comme il semble calme, je m’approche de lui, pas vraiment rassuré, avec les pommes golden achetées la veille au supermarché et encore dans leur sac de chez Metro. Cette astuce marche bien avec les chevaux un peu récalcitrants ou craintifs et je me dit que cela va peut-être marcher aussi avec les mastodontes !
Et c’est ainsi que commença la domestication et le dressage d’Hugo, notre nouvel animal de compagnie grand format ! Certes, il y a eu de la casse, car un câlin avec un animal de plusieurs tonnes ne se passe pas toujours sans accroc, mais il a fini par faire très attention à nous et aux objets de son environnement, et notamment à nos véhicules en évitant de s’asseoir dessus.
Nous sommes revenus dans la forêt au point GPS relevé, mais la grotte a bel et bien disparu maintenant. Il y a à la place un énorme éboulement rocheux, comme si toute la falaise s’était effondrée dessus, si bien que Hugo ne pourra jamais retourner d’où il vient.
Nous sommes restés soudés avec Hugo et nous avons tenu bon quand le gouvernement canadien a voulu nous voler notre nouvel ami. Hugo si calme et si gentil avec nous devenait d’une agressivité excessive si un étranger s’approchait sans notre consentement, semblant deviner nos pensées et les intentions hostiles de l’arrivant. On ne compte plus le nombre de véhicules gouvernementaux qu’Hugo a hachés menu avec sa tête, ses défenses et piétiné avec ses énormes pattes, heureusement sans faire de victimes, quand des quidams mal intentionnés s’aventurent sans autorisation chez nous !
Et nous avons gagné un sursis ! Le gouvernement nous laisse tranquille maintenant et nous acceptons quelques visites régulières de scientifiques qui viennent du monde entier pour examiner notre protégé. Notre forêt, interdite d’accès par l’armée pendant plusieurs mois à la recherche d’une éventuelle faille temporelle (dixit les tabloïds locaux) nous a été rendue il y a deux semaines et les enfants ont repris leurs balades le weekend, mais sur le dos d’Hugo maintenant, leur fidèle ami.
Mais le plus extraordinaire, ce sont les baignades communes et les batailles d’eau dans le lac que notre mastodonte apprécie énormément au grand plaisir (humide) de tous ! Avec sa trompe, il gagne toujours ! Pô juste 😜